PASSAGES EXOTHERMIQUES | 2024
COLLECTIF PHILIPPE ALLARD ET ALEXANDRE BURTON
Collection du Bureau d'art public de Montréal
Usine du centre de traitement des matières organiques (CTMO)
Ville Saint-Laurent, Québec
Intervention extérieure :
Acier intempérique (corten) et acier inoxydable
Éclairage en phase avec l'intervention intérieure
4,88 x 10,08 x 1,4 mètres
Intervention intérieure (à être inaugurée à l'hiver 2025, images à venir) :
Acier inoxydable, bois, DEL, projecteurs, détecteurs de présence, système génératif en phase avec l'intervention extérieure
2,6 x 15,2 x 1,4 mètres
PASSAGES EXOTHERMIQUES
L’inspiration provient de l’image d’une feuille en décomposition. L’air et la lumière la transperce ; il ne reste qu’une portion de sa structure, légère, filiforme, biologique et étonnamment géométrique. Nous voyons dans cette géométrie naturelle un pont entre nos pratiques respectives d’installations d’éléments accumulés à des systèmes numériques génératifs.
Nous tenions absolument à ce que la résultante soit une seule œuvre en deux volets et non deux œuvres distinctes, raison pour laquelle l’inspiration principale provenant de la structure géométrique de la feuille soit la même à l’extérieur qu’à l’intérieur.
L’image de cette feuille nous a conduit aux études des scientifiques Dirichlet, Thiessen, Voronoï et même Descartes. Thiessen, inspiré du Principia philosophiae de Descartes et le mathématicien Russe Goergy Fedoseevich Voronoï inspiré de le tessellation de Dirichlet. Le diagramme de Voronoï est un plan cellulaire qui se déploie selon la distance entre des points. Ce système de croissance des cellules évoque l’aspect organique de la multiplication cellulaire et crée des formes vectorielles régies par une logique mathématique. Des cellules semblables aux polygones de Voronoï se retrouvent partout dans notre environnement naturel, de la robe des girafes aux nervures sur une feuille d’arbre. Comme nous désirons jouer entre la macro et le micro, ce jeu de textures géométriques que l’on retrouve dans la structure de cette feuille est propice à l’expression des Passages exothermiques.
Il y a donc cette inspiration des polygones cellulaires pour la forme, mais nous voulons également qu’émane des deux installations des phénomènes inhérents au compostage. Nous nous intéressons particulièrement à la réaction exothermique due à la décomposition de la matière par l’activité des champignons et des bactéries*.
Nous nous inspirons des équations classiques de Frank- Kamenetskii pour calculer et simuler le processus en 2 dimensions, et appliquer les résultats obtenus à la coloration et l’intensité de fluctuations lumineuses à l’extérieur et à l’intérieur du bâtiment. À l’extérieur, les gradations de lumières se font uniquement sur l’intensité de la lumière blanche, tandis qu’à l’intérieur la palette thermique au complet est exploitée. Si des données temps réel sur l’état de la température du compostage du CTMO sont disponibles, nous les intégrerons (à discuter).
Passage intérieur, ce qui se passe d’abord sous terre
Le couloir intérieur est une expérience atmosphérique lumineuse représentant l’activité exothermique dans l’usine. Les grandes surfaces réfléchissantes des murs décloisonnent le passage étroit et plongent le visiteur dans un environnement infini où les effets lumineux sont démultipliés.
La première source est une longue série de DEL qui projette sa lumière à travers des diffuseurs d’acrylique sous des clins de feuilles d’acier inoxydable poly-miroir. Ces clins diagonaux sont à l’image de strates souterraines empilées d’un compost traditionnel. La lumière est miroitée sur les surfaces réfléchissantes et principalement dirigée vers le sol. Cette ambiance est une gradation lumineuse vivante issue des équations de Frank- Kamenetskii.
Elle débute avec des oscillations horizontales le long des diagonales avec des échappements sporadiques lents, qu’on appelle ici exothermie latente. À l’arrivée d’un visiteur la réaction exothermique devient active ; Les mouvements des lumières deviennent progressivement verticaux et s’intensifient en nuages lumineux multicolores qui se dirigent vers le plafond en suivant la progression du visiteur dans le couloir. Une impression de chaleur plus intense se dégage visuellement (ce phénomène se produit simultanément dans les monolithes extérieurs, à suivre).
La deuxième source lumineuse, quant à elle, provient de projecteurs vidéo installés discrètement dans la noirceur du plafond et calibrés pour recouvrir le plancher. L’image projetée est celle d’une matrice de Voronoi. Lorsque le visiteur est en déplacement, une multitude de polygones que l’on croyait statiques au sol deviennent vivants ! Ils se transforment sous les pieds du visiteur. Leur mutation est en phase avec le déplacement, rythmée par la vitesse et l’orientation des pas. Elle se démultiplie exponentiellement en micro polygones et en couleurs en présence d’un second, d’un troisième ou d’un énième visiteur et se stabilise lorsque les usagers ralentissent ou s’arrêtent.
Ces projections sont activées à l’aide de détecteurs de présence (LIDAR). Le corridor est plus calme quand il n’y a personne et progressivement actif avec l’augmentation de l’achalandage.
L’expérience interactive du corridor se veut une intersection entre l’influence «instantanée» de la présence (chaleur) humaine et celle du processus très lent de la réaction exothermique du compostage.
Passage extérieur, ce qui se passe ensuite hors terre
Le couloir extérieur, fruit de cette activité fertile sous terre, est constitué d’une série de monolithes triangulaires filiformes de part et d’autre du passage piétonnier, animée de fluctuations lumineuses blanches en soirée. Ce passage est une interprétation géométrique et abstraite d’arbres rectilignes, formes végétales ultimes. Chacune de ces croissances est percée exponentiellement en hauteur, en image au procédé aérobie qui se réalise dans le compostage. Le processus biologique aérobie se réalise avec l’aide du mouvement, de la circulation et de l’air à l’aide des immenses cylindres rotatifs dans l’usine. Il s’agit donc de notre interprétation de ce processus entre la matière dense du début (bases des monolithes) et la matière aérée en finalité (cimes exponentiellement percées des monolithes). Cette impression de volatilité est également issue de cette image de feuille transpercée par sa décomposition.
Bien que de nature signalétique, l’œuvre est également à échelle humaine. Elle est conçue pour être côtoyée de près et donner l’impression de traverser un boisé, de s’y dissimuler, de zigzaguer entre la multitude de ces monolithes pour apprécier les innombrables jeux d’ombres et de lumières qu’elle dégage.
Ces monolithes sont composés d’acier intempérique (corten) qui se protège d’une couche prématurée de corrosion d’une teinte ocre, orangée et terreuse. Cette matière riche en textures illustre à merveille un terreau fertile. Un côté du monolithe sur trois est plaqué d’une feuille d’acier poly-miroir, placé selon une distribution stochastique, amplifiant la multiplication des formes percées, de la lumière qu’elles projettent ainsi que de leurs ombres.
Les luminaires DEL (asservis en DMX) disposés à la base des colonnes s’allument en soirée pour faire jaillir des monolithes ces milliers de perforations. Tel qu’indiqué antérieurement, les fluctuations lumineuses en phase avec celles du passage intérieur traduisent l’activité exothermique du compostage. Voir animation
Traverser cet endroit donne l’impression de traverser un boisé ou une petite forêt. En effet, les monolithes étant percés de formes fractales progressivement vers le ciel, ceux-ci donnent des jeux d’ombres et de lumière comme peuvent le faire les branches et les feuilles d’un arbre. Ces formes fractales proviennent d’interprétations de feuilles de différentes essences d’arbres, magnifiées en macro, plus grandes que nature.
Le lien conceptuel entre les deux passages se concrétise par un effet miroir situé au niveau du sol. Les effets visuels sont intervertis par un jeu de réflexions dans le but d’évoquer le cycle entre ce qui se passe hors-terre et sous terre. On retrouve les compositions fractales lumineuses inspirées du diagramme de Voronoï dans le couloir représentant le sous-sol et on retrouve des compositions fractales de ces mêmes formes dans les monolithes extérieurs. Ces formes graphiques se superposent, s’additionnent, se complètent, représentant la symbiose dans le cycle.